La crise économico-sanitaire actuelle n’a fait qu’aggraver les choses : le sport dans les quartiers est délaissé et se tarit faute d’être une priorité des politiques et de se voir octroyer la place et les subsides que ses finalités commandent. C’est là le sens de la tribune parue dans la presse le 22 novembre. Un texte signé par quatre-vingts acteurs officiant dans les clubs amateurs mais également par des champions, des dirigeants ou encore, des élus locaux.
« Nous sommes au bord du gouffre, peu reconnus par les acteurs institutionnels, à l’exception notable des maires qui sont nos interlocuteurs privilégiés sur le terrain, et jamais associés aux prises de décision nous concernant au premier plan. La suppression de plusieurs dizaines de milliers d’emplois aidés initiée depuis 2017 a cassé les dynamiques déjà très fragiles portées par des milliers d’acteurs sur le terrain », rappellent les auteurs.
Et de réitérer que l’action des uns et des autres, en particulier dans les zones sensibles, est essentielle pour promouvoir le vivre ensemble et consolider la citoyenneté, la scolarisation ainsi que l’insertion sociale et économique : « Quel meilleur impact que de prendre en charge des jeunes accueillis nulle part, en décrochage scolaire, à la recherche d’un emploi, ou encore sortant de prison ? À l’instar des métiers de la santé, nous sommes des métiers essentiels pour tisser du lien social sur nos territoires. Nous ne sommes pas opposés au soutien du sport de haut niveau, beaucoup d’entre nous en sont d’ailleurs issus, mais les moyens ne peuvent être uniquement dirigés vers la haute compétition ; le travail d’éducation que nous menons est indispensable pour le pays. »
Notre système, souvent technocratique, incite à oublier l’essentiel…
Figurant parmi les signataires du texte appelant le Gouvernement à changer la donne, Ryadh Sallem, membre du Bureau Exécutif du CROS Île-de-France et fondateur de l’association CAPSAAA, partage sans réserve ce constat : « J’ai la sensation qu’il y a, aujourd’hui, un vrai problème de prise de conscience des besoins du terrain. Des éducateurs se battent contre le décrochage scolaire et professionnel dans de nombreux territoires. Or, les personnes qui maintiennent ce lien social sont en passe de se démobiliser faute de moyens et de considération. On ne se rend pas compte que si la situation n’explose pas dans les quartiers, c’est précisément parce qu’un travail de fond, souvent invisible, y est mené. Peut-être que notre système, souvent technocratique, incite à oublier l’essentiel… Pourtant, le nombre d’associations qui ont été contraintes de cesser leurs activités ces dernières années est incroyable. Même si elles fonctionnaient essentiellement avec des bénévoles et les familles, elles se sont retrouvées sans plus aucun budget et donc plus aucune possibilité de conduire des actions. »
Résultat peu flatteur : « Nous sommes en train de perdre un atout fondamental, celui du bénévolat pourtant synonyme d’engagement désintéressé. Retirer le peu de choses qui permettait à ces structures de mener à bien des initiatives est dramatique. On est en train de couper la courroie de transmission intergénérationnelle des valeurs républicaines de notre société et de la culture de ce pays. » Un secteur dans lequel œuvre d’ailleurs le CROS Île-de-France, rappelle Ryadh Sallem. Et ce, notamment au travers des opérations qu’il propose en faveur du sport féminin et dans les quartiers, de ses interventions dans les prisons ou encore, des formations qu’il dispense.
Pour autant, déplorent les intéressés, on ne leur octroie pas les moyens requis par leur mission pourtant incontournable car refondatrice : « Nos projets mis en œuvre dans les quartiers les plus sensibles de notre pays, malgré leur efficacité et leur utilité sociale, sont trop peu soutenus et pas assez reconnus. Ils sont sans doute une des grandes priorités du sport de demain tant l’éducation, le vivre ensemble et l’insertion des jeunes sont essentiels. Il est grand temps de construire une politique publique forte qui considère les acteurs que nous sommes à leur juste titre. » Or, « la rencontre du monde du sport qui annonce 400 millions d’euros, cette semaine, ne cible pas les territoires les plus en difficulté de notre pays ! »
Pour un Grenelle de l’éducation et de l’inclusion par le sport
Comme d’autres, Ryadh Sallem ne comprend comment on a pu en arriver là : « Pourquoi assécher d’un coup ces territoires et priver de subsides les clubs qui ont identifié, formé et accompagné pléthore de champions ? Comment peut-on rechigner alors que l’on s’apprête à accueillir les Jeux en 2024 ? Avec une telle perspective, il est incompréhensible de ne pas investir dans tout ce que le sport est susceptible d’apporter, que ce soit pour le handicap, la reconnaissance des droits, la santé, les jeunes éloignés du marché de l’emploi etc. »
Pour changer la donne, deux recommandations sont formulées. D’une part, la tenue d’un Grenelle de l’éducation et de l’inclusion par le sport regroupant l’ensemble des acteurs impliqués (associations, collectivités, fédérations et entreprises). Un «temps d’échanges qui portera à connaissance les bienfaits de nos actions et proposera de nouveaux axes urgents de politiques publiques autour de la performance sociale du sport, déjà en place dans de nombreuses villes », expliquent les rédacteurs de la tribune. D’autre part, la création d’un « fonds pérenne de 50 millions d’euros, simple d’utilisation, pour assurer la survie des associations sportives impliquées dans les quartiers de notre pays ». Pour sortir de l’ornière, « il faut que l’on consacre un statut de l’insertion sociale par le sport avec, à la clef, des moyens ciblés, insiste Ryadh Sallem. Il est urgent d’arrêter de fonctionner en tuyaux d’orgue entre le sport, la culture et le social. »
Alexandre Terrini