Quinze fédérations étaient présentes, le 25 février, au siège du Comité national olympique et sportif français (CNOSF) dans le cadre d’une conférence de presse destinée à faire cause commune : en l’occurrence, celle des disciplines d’intérieur, lesquelles sont les plus touchées par les restrictions gouvernementales censées juguler la diffusion de la Covid-19. Pour toutes, entrevoir le futur mêle incertitude et angoisse immenses.
« Si l’on peut espérer que les Jeux de Tokyo fassent apparaître la lumière au bout du tunnel, pour les sports de salle français, pour l’instant, il y a un tunnel mais pas de lumière », a résumé, en préambule, le Président du Comité national olympique et sportif français (CNOSF), Denis Masseglia. Un bon mot pour un bien mauvais état des lieux qui met en péril tout un pan du sport tricolore.
« Nous sommes inquiets pour la survie de nos fédérations. Nous voulons partager nos problématiques et nos constats. La reprise des entraînements et des compétitions est aujourd’hui plutôt compromise. Nous sommes dans une situation très inconfortable vis-à-vis de nos clubs et de nos licenciés qui demandent le remboursement de leur licence et de leur cotisation », a déploré Éric Tanguy, Président de la Fédération française de Volley et vice-Président du CNOSF en charge de l’innovation et du sport professionnel.
Il y a un danger que personne ne voit
Plus largement, comme l’a regretté Philippe Bana, Président de la Fédération française de Handball, une impression fait tâche, celle « d’un déséquilibre de traitement dont pâtit le sport amateur et les disciplines de salle ». Le CNOSF et les fédérations ont eu beau multiplier les démarches auprès du Ministère et même du sommet de l’État, les discussions et autres lettres ouvertes n’ont nullement changé la donne. Rien n’y a fait. Avec, en toile de fond, « l’idée qu’il n’y a peut-être pas la conscience que le lien social va éclater et que l’on met une cocotte-minute là-dessus a affirmé Philippe Bana. Nous sommes donc réunis pour dire stop parce qu’il y a un danger que personne ne voit, qui pèse sur des millions de licenciés et des dizaines de milliers de clubs. »
Le tableau d’ensemble dressé par Jean-Pierre Siutat, Président de la Fédération française de Basketball, est en effet sans appel et objectivable tant les chiffres globaux parlent d’eux-mêmes : des activités qui, pour beaucoup, ont été arrêtées depuis un an. Quant à ceux, rares, qui ont réussi à relancer des compétitions, ils ne l’ont fait au mieux qu’à hauteur de 15 % du calendrier prévu. Cette offre de pratique en berne a invariablement engendré des pertes drastiques de licenciés et de recettes, les premières oscillant de 15 à 57 % selon les cas et les secondes de 18 à 40 %. A cela, s’est inévitablement ajouté un climat anxiogène qui fait la part belle à une appréhension légitime. Sur une échelle de 1 à 5, les craintes pour la survie des associations sportives, quant à la probable démobilisation des bénévoles ou encore, relatives à l’effectivité de la saison 2021-22 atteignent à chaque fois 4, voire 5 pour ce qui est du déroulement normal du prochain exercice.
Le club, c’est une régulation de la société
En point d’orgue, le maintien et la pérennisation des clubs, lesquels demeurent l’entité de base sans laquelle rien n’est envisageable. Or, nombre d’entre eux ploient sous les difficultés, au point de se résoudre à mettre la clef sous la porte. Au judo, 300 d’entre eux ont fermé boutique… « Un club qui ne revient pas, c’est souvent en raison de la démobilisation des entraîneurs et des dirigeants, a expliqué James Blateau, Président de la Fédération française de Gymnastique. Cette usure et cette perte de dynamique nous sont préjudiciables aujourd’hui. J’espère qu’elles ne le seront pas trop pour l’avenir. » « Un club, c’est un ensemble de gens qui n’ont rien à voir entre eux mais qui réussissent à former un agrégat, a renchéri Francis Didier, Président de la Fédération française de Karaté. Le club, c’est donc une régulation de la société. On y prêche la pédagogie et l’on y donne de l’espoir aux gens. S’il disparaît, c’est aussi l’espoir qui disparaît. On doit nous accompagner dans cette démarche de sauver nos clubs et le monde associatif. Là, nous sommes dans l’impasse. À part quelques mot gentils à leur intention, nous n’avons pas de solution. »
Pourtant, il en va du vivre ensemble, a redit Gilles Le Digou, vice-Président de la Fédération française de Savate, Boxe française et disciplines associées : « J’insiste sur la dimension éducative dans les quartiers. Nous sommes un sport de ville. Actuellement, les gamins sont livrés à eux-mêmes dans la rue et l’on voit ce qu’il se passe. Cela aboutit à des phénomènes de bandes dans une société qui est en perte de confiance à tous les niveaux. Or, qu’est-ce qui peut faire que nos gamins tiennent ? Ce sont les éducateurs et ce, quel que soit le sport. »
Impossible de se projeter vers une quelconque reprise possible
Ce rendez-vous avec les médias a été l’occasion, pour les diverses disciplines, de se livrer à un point d’étape. Un exercice qui a confirmé que les problématiques étaient similaires et parfois plus prégnantes, par exemple pour les sports de combat et de contact. Malheureusement, à ce jour, les uns et les autres n’ont pas perçu le moindre euro de soutien de la part du Gouvernement, seul le bénéfice du chômage partiel leur ayant été accordé. En somme, il y a plus que jamais urgence à « trouver des solutions » avec les tutelles, a insisté Éric Tanguy. Certaines ont déjà été actées, tel le lancement, dès cette année, pour un montant de 100 millions d’euros qui n’a toujours pas été débloqué, du Pass’Sport dont la finalité est de prendre en charge une partie du coût de l’inscription dans un club d’un jeune de moins de seize ans, en particulier ceux issus de familles aux revenus les plus modestes. « Cette aide à l’adhésion, c’est, pour nous, un enjeu titanesque et un enjeu économique dramatique », a martelé Philippe Bana à l’heure où « il est impossible de se projeter vers une quelconque reprise possible ». D’autres mesures ont, faut-il le rappeler, été entérinées même si leur concrétisation tarde de manière fort préjudiciable pour leurs destinataires dans le besoin. Ainsi en va-t-il des 15 millions d’euros issus du fonds d’urgence abondé sous les auspices de l’Agence nationale du Sport (AnS) afin de soulager les petites associations non employeuses qui, par ailleurs, n’ont pas accès aux aides de droit commun ; ou encore, de la création, sur la dotation de l’AnS, d’un fonds de compensation pour amortir la baisse du nombre de licences au sein des fédérations.
On en appelle à l’État pour sauver le soldat sport
Des dispositifs nécessaires mais bien insuffisants. C’est pourquoi, les instances concernées réclament un arsenal à large spectre qui permette, dès à présent, d’enrayer la spirale infernale. Outre un retour dès que possible des adhérents dans les clubs en respectant, bien sûr, des protocoles sanitaires adaptés incluant le port d’un masque dédié, il conviendrait notamment d’entériner la défiscalisation des licences pour les sports de salle qui n’ont pas pu être pratiqués cette année et de valider la mise en place d’un fonds de soutien direct à l’intention de ces fédérations, par la force des choses nettement plus impactées que celles des sports en extérieur. Autant de pistes qui devraient également avoir cours tout au long de la période 2021-2022 lors de laquelle il s’agira, entre autres, de renforcer le mécénat à la solde du sport amateur et de maintenir les emplois aidés au sein des fédérations pour accompagner les clubs. « On en appelle à l’État pour sauver le soldat sport et pas seulement le soldat judo, a suggéré avec véhémence Stéphane Nomis, à la tête de la Fédération française de Judo. Il convient de lui faire prendre conscience que nous avons besoin de plus que ce qu’il nous a donné. »
Alexandre Terrini